PHOTOGRAPHIE / Flagra series (2016-2018)
FLAGRA: A series of Photographic prints
‘Most people think that shadows follow, precede, surround beings or objects. The truth is that they also surround words, ideas, desires, deeds, impulses and memories.’ - Ellie Wiesel.
The ‘Flagra’ photographic series shows, first of all, an attempt to capture light, time and emptiness, the latter being one of the fundamental elements of photography. Mohamed Thara is fascinated by the ‘Chiaroscuro’ (light-dark) technic and by the delicate and precarious balance of shadows and lights, comparable to that of silence. Between presence and absence, these ambiguous and mysterious prints, question the identity of labyrinth-like and confrontational stratified space with formal restrictions by using narrow lanes and closed doors in near-darkness. Like a specter or a ghost, the presence of the faceless woman’s silhouette wearing the niqab, in black, is identifiable according to the space that surrounds her whilst she moves amidst the Medina. Those images express a tremendous force of ‘anamnestic spectrality’, terms used by Derrida. The specter of the woman without a face is a form of deliberate and permanent disguise of identity generated by the concealment of the face. This concealment erases a woman's body from ordinary visibility by imposing on her a visibility of negation, the dark and obscure trace of her being erased. A human being is defined by his/her face” says Emmanuel Levinas. Every child, every man, every woman identifies ‘himself/herself’, in what he/she offers as most original, his/her face.
It is above all on the face that ‘self’ appears. Living as a human being is about playing the game of face’s swapping. Even better: the capacity of exchanging faces, forms humanity as a community. We show our faces in order to be recognized by others as belonging to the human family. The "I" and the "you" are born out of the faces’ dialogue, the founding dialogue that precedes the verbal one. Mohamed Thara sees the burqa as well as the niqab as ways of subtracting the face from the visibility, to erase it. A coffin of tissues that destroys in the woman it buries, the right to belong to the human community insofar as it prohibits her from entering the sphere of dialogue.
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"Flagra" en latin, c'est l’action de flageller ou de se flageller en manière de châtiment ou de pénitence. L’acte qui consiste à fouetter le corps humain avec un fouet. Le fouet a été utilisé par toutes les civilisations et est encore employé dans certains pays ou régions, comme ceux appliquant la charria. Le même fouet avec lequel on frappe l'âne bâté pour qu'il avance. Dans la série photographique "Flagra" le niqab a remplacé le fouet.
Dans la série "Flagra", il s’agit d’abord d’une tentative de captation de la lumière, du temps et du vide qui est l’un des éléments fondamentaux de la pratique de la photographie. Mohamed Thara est fasciné par le clair-obscur et par le délicat et précaire équilibre des ombres et des lumières, comparable à celui du silence. Entre présence/absence, ces photographies ambiguës et mystérieuses interrogent la question de l’identité et de l’espace vide stratifié, labyrinthique et conflictuel avec des restrictions formelles, utilisant des ruelles étroites, des portes fermées ou des impasses sans issue dans la quasi-obscurité. Comme un spectre ou un fantôme, la présence de la silhouette sans visage de la femme en noir qui porte le niqab, se repère en fonction de l’espace qui l’entoure lors de son déplacement au sein de l'espace. Des images d’une force de spectralité anamnésique, pour reprendre les termes de Derrida. Le spectre de la femme sans visage est une forme de déguisement délibéré et permanent de l’identité par la dissimulation du visage qui raye le corps de la femme de la visibilité ordinaire en lui imposant une visibilité de négation. La trace sombre et obscure de son effacement.
Dans la série "Flagra", nous sommes en présence des spectres et des revenants. Nous sommes livrés aux voix des fantômes déchus. Des anges des ténèbres, des démons de lumière. Ils sont autour de nous et parmi nous, expulsés de la lumière, hantés par l'horreur et la mort qu’ils appellent. Pour Derrida, « L’homme est le plus inquiétant de tous les fantômes. Tous ceux qui sont occupés par les spectres ne les accueillent que pour les chasser ou les conjurer : hospitalité et exclusion vont de pair. » Pour Emmanuel Levinas : l’être humain se définit par le visage. Chaque enfant, chaque homme, chaque femme identifie sa personne, dans ce qu’elle a de plus original, avec son visage. C’est avant tout sur le visage qu’apparaît le moi. Vivre en être humain revient à jouer le jeu de l’échange des visages. Mieux : l’échange des visages forme l’humanité comme communauté. Nous montrons nos visages pour être reconnus par les autres comme appartenant à la famille humaine. Le “je” et le “tu” naissent du dialogue des visages, dialogue fondateur qui précède le dialogue verbal. La burqa comme le niqab soustraient le visage à la visibilité, l’élimine. Caveau de tissu, elle détruit chez la femme qu’elle ensevelit le droit d’appartenir à la communauté humaine dans la mesure même où elle lui interdit d’entrer dans la sphère du dialogue.
"S’il faut de l’irreprésentable pour composer la représentation, n’est-ce pas parce que le poids de l’ombre constitue un espace inassignable, un entre-espace flottant comme les superpositions cinématographiques ? Comment saisir une ombre ? Comment étreindre un fantôme sinon dans l’aporie renouvelée d’un être en retrait et effacement, d’une loi qui se redouble ?"
Christine Buci-Glucksmann, Tragique de l’ombre.