L’édition 2018 se propose d’interroger le médium, d’explorer la notion de territoire et les nouveaux usages de la photographie contemporaine. La direction artistique a été confiée cette année à Mohamed Thara, artiste plasticien, enseignant chercheur à l’Université de Bordeaux-Montagne et membre associé au laboratoire de recherche transdisciplinaire CLARE-ARTES de l’Ecole Doctorale Montaigne-Humanités. Comme chaque édition, de multiples activités sont proposées aux férus de la photo, dont des expositions, des projections, des ateliers et des débats. L’exposition est présentée dans divers espaces culturels disséminés entre ville nouvelle et médina autour du thème « Par-delà les territoires ». Il s’agit de multiplier les croisements de regards en un système d’échange d’un lieu à l’autre. En établissant des passerelles entre les scènes française et marocaine. L’édition de cette année déploie un ensemble de photographies qui montrent la pluralité des formes d’expression actuelles. Les photographies portent la trace et exhibent des territoires aux équilibres précaires, en tension entre l’accablement des sols et la liberté des sommets. A partir de cela, les frontières deviennent incertaines, les catégories s’abolissent. La photographie comme le territoire est l’objet d’incessantes métamorphoses, les délimitations et les lignes de démarcation, intérieures ou extérieures sont questionnées par les artistes dans un double mouvement d’appartenance et de décentrement.
« A voir autrement, on voit autre chose », expliquait Heinrich Wölfflin. C’est précisément cette « autre chose » que cherche la nouvelle édition des Rencontres de Fès qui sont un observatoire des pratiques photographiques et de la création actuelle, elles sont aussi une ouverture sur le monde. En faisant circuler des images cette édition entend faire circuler des idées et créer de nouvelles dynamiques. Les photographes sont des raconteurs d’histoires et des explorateurs à la recherche de nouveaux territoires, ils témoignent des bouleversements du monde en questionnent le médium. En réunissant une cosmologie visuelle complémentaire, et des œuvres aux préoccupations proches, l’exposition « Par-delà le territoires » entend interroger la photographie de territoires et la restituer à l’intérieur du vaste champ de la pratique contemporaine ou les images dialoguent les unes avec les autres au sein de l’espace géographique. Tout territoire est une frontière, il construit et déconstruit, entre ligne de fuite, fissure, fracture, bord, il crée marge, clôture, zone, ghetto. Comment passer d’ici à là-bas ? Entre là-bas et ici ? Entre le dehors et le dedans ? Le péril est en effet au coeur de la traversée. On oublie qu’un territoire est presque toujours le théâtre de conflits personnels ou collectifs, visibles ou invisibles. L’édition de cette année tentera de repérer les « troubles de la territorialité » et d’inclure le spectateur dans un dispositif ouvert à d’autres récits possibles. La question de l’expérience du territoire traverse toute l’exposition, on passe ainsi d’une description à une inscription dans les images pour rappeler qu’une image reste avant tout une représentation mentale. Par la confrontation de regards de photographes auteurs internationaux (Marc Montméat, Jonathan Hindson, Nicolas Camoisson, Benoit Cary, Bruce Milpied) et nationaux (Hicham Gardaf, Yassine Alaoui Ismaili, Mustapha Azeroual, Zakaria Ait Wakrim, M’hammed Kilito, Mohamed Thara) se dessine à travers l’exposition un jeune mouvement marocain de la photographie indépendant et avide de nouvelles expériences. Dans un état d’urgence lié à la crise actuelle d’une ampleur inédite, ce mouvement est caractérisé par le rapport à l’humain, il traite souvent de questions complexes aussi bien sociales que politiques qui infusent dans le rapport au récit photographique qui est aussi le récit du Maroc d’aujourd’hui. Dans un territoire face à ses propres contradictions, la photographie devient un moyen de résilience collective, une expression d’un instinct de résistance, qui nous fait penser aux mots du théoricien des études postcoloniales Homi Bhabha « l’état d’urgence est toujours aussi un état d’émergence ». La photographie reste un outil puissant de la remise en question, elle fixe souvent une lumière scintillante, transcendante, qui au loin, permet de maintenir l’émergence d’une lueur d’espoir.
Revue Point Contemporain, du 8 décembre 2018. Texte de © Mohamed Thara : http://pointcontemporain.com/rencontres-internationales-photo-fes-11e-edition-par-dela-les-territoires/